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Violettes
Violettes est le 1er poème du recueil "Et néanmoins"
Rien qu'une touffe de violettes pâles, une touffe de ces fleurs faibles et presque fades, et un enfant jouant dans le jardin...
Ce jour-là, en ce février-là, pas si lointain et tout de même perdu comme tous les autres jours de sa vie qu'on ne ressaisira jamais, un bref instant, elles m'auront désencombré la vue.
Fleurs parmi les plus insignifiantes et les plus cachées. Infimes. A la limite de la fadeur. Nées de la terre ameublie par les dernières neiges de l'hiver. Et comment, si frêle, peuvent-elles seulement apparaître, sortir de terre, tenir debout ?
Dans la liturgie de l'année, plus constante, un peu plus éternelle que l'autre- qui d'ailleurs se défait-, elles ont leur place comme l'heure de prime dans la journée des reclus. Une heure où l'on ne peut parler haut. Pour les entendre, il faut déplacer de l'ombre. Etre sorti des cauchemars. Défait de ses bandelettes. Ou n'est-ce pas plutôt que leur vue nous y aide ?
"Je ne cueillerai pas les fleurs", dit l'Épouse du Cantique spirituel : cela signifie qu'elle se refusera certaines joies brèves pour une autre, réputée plus haute et plus durable. Ce refus n'empêche pas que les fleurs, même incueillies, ont été nommées dans le poème, qu'elles y sont limpidement présentes comme une beauté éparse au-delà de laquelle on ne pourrait sûrement pas aller sans l'avoir d'abord aimée.
Violettes.
Flèches à la tendre pointe, incapables de poison.
(Effacer toutes les erreurs, tous les détours, toutes les espèces de destructions ; pour ne garder que ces légères, ces fragiles flèches-là, décochées d'un coin d'ombre en fin d'hiver.)
L'infime, qui ouvre une voie, qui fraie une voie; mais rien de plus. Comme s'il fallait bien autre chose, qui ne me fut jamais donné, pour aller au-delà.
Frayeuses de chemin, parfumées, mais trop frêles pour qu'il ne soit pas besoin de les relayer dans le noir et dans le froid.
Plan de commentaire
1-Un rêve éveillé
2-Un lyrisme romantique
3-
Une réflexion sur la vie
Ayant aperçu
des violettes en hiver au cours d'une promenade, ces fleurs
frêles mais d'une grande beauté lui donne l'occasion quelques
jours plus tard ,dans une sorte de rêve éveillé
de prendre conscience de la fragilité de la vie, de son destin d'écrivain
déraciné de sa Suisse natale. Philippe Jaccottet
qui a 78 ans, est un poète lyrique que l'on peut qualifier de
romantique qui sans artifices poétiques nous délivre
à travers ses violettes un message angoissé
de l'existence.
Un rêve éveillé
Le rêve éveillé est un moment particulier du soir ou
du matin qui précède ou suit le sommeil et qui consiste à
travers l'imaginaire à faire vivre des objets, des situations. L´écriture
de Philippe Jaccottet participe de ce rêve éveillé,
c'est une écriture du petit jour, de fin de sommeil, de début
d'éveil. Sa saison favorite, la fin de l'hiver, le début du
printemps, la nature ci reprend vie après une longue léthargie
hivernale. La violette participe de cette nature annonciatrice du renouveau,
c'est la fleur qui éclôt alors que l'hiver n'est pas encore
terminé, que la neige est encore présente. Notre poète
est aussi un grand amoureux de la nature, qu'il décrit sur des carnets.
Les violettes, il les a observées il y a quelque jours, dans la campagne
ou dans un jardin où jouait un enfant, connotant des fleurs soustraites
à leur élément naturel, déplacées. Les
violettes et l'enfant sont deux symboles de vies qui commencent. Mais ce
moment de la floraison est éphémère, il fallait être
présent ce jour là pour l'observer, désormais il ne
peut reconstituer ce moment, cet événement que dans son imaginaire,
il ne saisira plus jamais ces fleurs à la floraison car elles sont
condamnées à mourir. L'observation de ces
violettes, dans un moment aussi éphémère fut-il a désencombré
sa vue quelques instants, la beauté de cette fleur ayant illuminé
quelques instants les tristes moments d'un hiver morne.
Un lyrisme romantique
Le texte poétique de Jaccottet n'est jamais totalement versifié,
c'est un mélange de vers et de prose, une écriture singulière
avec laquelle il nous dit sa façon àlui, de voir le monde
et de réagir face à lui. S'il recourt peu aux images, comparaisons
et métaphores, s'il utilise un langage clair, la nature, ici la violette
lui sert de support pour nous faire connaître ses
sentiments à la façon des romantiques. Jaccottet
est très proche de Lamartine par sa vision pessimiste
du temps "Ô temps suspend ton vol" mais aussi très
croyant faisant souvent référence à
des termes religieux, liturgie, Cantique. Il y a beaucoup de pessimisme
dans "la liturgie de l'année", cette suite de mouvements
répétitifs reproduits années après années.
La nuit qui connote le rêve mais aussi la mort dont
il commence à prendre conscience le terrifie. L'inaction
lui fait peur, son travail poétique est un travail d'éveil,
de prise de conscience de la beauté à travers des images plutôt
que dans la contemplation. Jaccottet recrée dans son imaginaire la
violette qui n'a pas besoin d'être présente pour qu'il puisse
en découvrir la beauté, lui évitant ainsi de la ramasser.
La recréation de l'image est un moment d'intimité
plus intense que l'observation. Ces images matinales aident le corps à
se rafraîchir de la nuit, à se démêler du sommeil,
et à déplier son esprit. Jaccottet est comparable à
Lamartine, complexe mais écorché par la vie et qui essaie
de se frayer un chemin comme la violette à travers
le gel hivernal. Plus on avance dans ce paysage imaginaire mais bel et bien
réel, et plus il est difficile de détacher le poème
et l'observation. Toute la lecture du recueil "Et, néanmoins",
dont fait partie ce poème, ajoute à la confusion
en mélangeant la prose et la poésie. Pour autant son écriture
se compose d'une multitude d'impressions, tracées
plus ou moins volontairement sur la page, donnant l'impression d'une poésie
saisie au vol entre les états de veille et de sommeil.
Dans son imaginaire, les pétales des violettes sont assimilées
à des lances mais la pointe est tendre et incapable
de tuer. Le monde s'est corrompu, il s'est modifié, il faut rectifier
les erreurs et remettre la nature comme elle l'était. Les fleurs
dans la nature sont telles qu'elles sont, ces violettes ou daucus sont petites
et peuvent paraître insignifiantes, on est tenté
de les couper pour les approprier. Nous devons les laisser là où
elles sont et ensuite les recréer dans notre imaginaire, qu'elles
soient ainsi une prise de conscience.
Une réflexion sur la vie
Les violettes de Lamartine ressemblent au "Lac" de
Lamartine, elle sont un peu notre témoignage dans leur élément
naturel, elles sont des frayeuses de chemin, elles nous montrent la voie,
elles sont frêles et avec de faibles moyens elles
illuminent l'arrivée du printemps par leurs couleurs. Elle sont aussi
un spectacle pour le promeneur qui en les coupant, les tue, les relaye dans
le noir et le froid comme la mort nous relègue également
vers la nuit froide et éternelle. Laissons les violettes là
où elles sont et écoutons nos rêves, telle est l'invitation
de Jaccottet. En ramassant la violette, nous satisfaisons une joie qui sera
brève, car la fleur va mourir. L'évocation de la violette
donne à l'imaginaire poétique, à celui qui sait écouter
son esprit, son rêve, un vrai bonheur. La violette coupée,
ramassée, déportée nous représente, nous aussi
perdus que nous sommes, déplacés d'un espace à un autre,
perdu dans des lieux également perdus, sans que personne ne vole
à notre secours. Malgré un arrière-plan de peur et
d´effroi devant l'abîme de l'existence, le poète prend
conscience de la beauté du monde, se résumant
quelquefois à de petites choses, quasi insignifiantes ; comme
des violettes, mais d´un autre côté, devant ces choses
qui ont une grande fragilité, le sentiment de la beauté disparaît
très vite pour laisser de nouveau la place à l'angoisse devant
la mort. Ces interrogations "comment des fleurs aussi frêles"
peuvent vivre, tenir debout sauvent alors le poète du désespoir,
car on peut concilier la fragilité de la vie de la vieillesse et
la beauté, ce qui paraissait au départ inconciliable.
Conclusion
A travers la métaphore de la violette, qu'il nous invite à ne pas couper ou déplacer pour la condamner à la mort, Jaccottet nous confie ses angoisses devant l'existence. Les violettes que l'on coupe, ou que l'on replante dans son jardin, ce sont les hommes que l'on déracine de leur environnement.
Vocabulaire
Fade
:
Qui manque de saveur
Liturgie :
Ordre des offices cultuels institué par l'église
Cantique :
Chant religieux en langue vulgaire et non en latin
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